Dans ses poèmes et récits, Rosemonde témoigne d’un goût prononcé pour le théâtre de marionnettes, et en particulier par le théâtre de Guignol. Pour elle, ces spectacles populaires sont bien plus que de simples divertissements ; ils sont des fenêtres ouvertes sur un monde magique où les marionnettes prennent vie. Dans la pièce La Suite à demain, le héros, auteur de feuilleton renommé, cache des marionnettes de ses personnages dans une armoire qu’il ouvre en secret pour y chercher l’inspiration
Une passion dévorante
Le journaliste Léo Clarétie témoigne dans la Revue du 15 janvier 1910 : « Pendant un temps, Edmond Rostand eut la passion des marionnettes, comme George Sand. Il modelait lui-même les têtes, en pignochant des pupazzi pris dans le commerce ; il les resculptait et les complétaient à la cire. Et les corps étaient habillés par les soins des habitants de la maison. On fit des petites merveilles. On voyait un hall d’hôtel avec un vrai ascenseur dont les lanternes étaient éclairées à l’électricité. Rostand me confia : « J’ai dû renoncer à ce divertissement, il me passionnait trop, et me prenait tout mon temps, je ne faisais plus rien. »
Gringalet, antihéros délirant
Dans la conférence Le Théâtre Poétique donnée le 17 mai 1927, Rosemonde Gérard régale son auditoire du résumé d’une pièce de Guignol. Gringalet doit monter au 5ème étage un vase de Chine d’immense valeur. Bien sûr, il brise le précieux bien. Le propriétaire furieux veut appeler un gendarme, mais Gringalet le tue d’un coup effroyable, à la grande joie de l’assistance qui l’applaudissait frénétiquement. Il met le corps dans la caisse et se cache derrière le rideau. Le bon gendarme arrivait, avec sa figure cramoisie et ses grosses moustaches. Gringalet bondissait sur lui avec son bâton, le rouait de coups à mort et le faisait entrer dans la caisse. Arrivaient encore le commissaire et le juge qui subissaient le même sort ; et enfin le diable, pour punir Gringalet. Mais le diable avait peur d’un coupable tellement aimé du public et il lui proposait un pacte :
- Laisse ton bâton, fais-moi grâce et je raccommoderai le vase brisé.
- Chouette ! Je suis riche maintenant et je vais épouser la fille de la fruitière.
Et il sortait fièrement, non sans revenir vingt fois saluer le public en délire…
Et elle conclut : Et – je vous le demande – avions-nous vraiment raison d’applaudir si frénétiquement ce Gringalet, qui, en un quart d’heure, avait cassé de la vaisselle, insulté la justice et la société, écrabouillé quatre personnes, contracté un pacte avec le diable, et partait maintenant – ohé ! ohé ! – se marier gaiement en emportant un vase de Chine qui avait fait tant de malheurs !...
Un témoignage photographique exceptionnel
Cette photographie d’une scène de Guignol est un document unique. Elle a très probablement été prise par Rosemonde. On y voit Edmond Rostand derrière le castelet faisant s’affronter deux marionnettes de Guignol. Les deux enfants Maurice et Jean ont bougé, ce qui les rend flous. Parmi les spectateurs on identifie de gauche à droite : William Lee, Jean Coquelin, Claudine, une proche employée de la maison, la gouvernante anglaise Miss Day, Constant Coquelin tout sourire et Madame Lee, la mère de Rosemonde.
Photographie originale
Version restaurée. Reconstitution des couleurs, Pierre Néron