Peintre de la société

Caricaturiste et satirique

Jean Veber se fait connaitre non par ses peinture, mais par ses caricatures et ses dessins humoristiques qui paraissaient chaque semaine dans les journaux tels que le Gil Blas, le Rire, l’Assiette au Beurre ou plus tard chez les Humoristes. Les textes très spirituels étaient de son frère Pierre, les dessins étaient gais souvent, parfois cruels, curieux toujours et collant à l’actualité.

La comédie humaine

Veber excelle dans les scènes de genre, où il ironise avec talent sur les turpitudes et les pompes bourgeoises. Il rit des faiblesses humaines, de la cupidité, de la suffisance et de l’orgueil de ceux qui ont réussi. Grave et ironique, il s’amuse à enfler les petitesses humaines jusqu’à les faire devenir monstrueuses. Mais son humour n’exclut pas une certaine tendresse chez cet artiste qui aime regarder vivre autour de lui les natures franches et simples.

Du petit peuple, il voit les joies simples autant que les disputes féroces. Tendre avec le faible ou le timide, il est implacable envers l’ivrogne et le violent. Il fait partager le bonheur d’un dimanche après-midi dans une guinguette. Ses petits buveurs, joyeux et sympathiques, sont attendrissants. Mais il dénonce aussi les ravages de l’alcool. Féministe, il montre ce qu’endurent les épouses à qui il confère force et courage. 

Ses scènes de vie sont tragicomiques et désopilantes. « L’arracheuse de dents » (1904) munie d’une grande tenaille, debout sur la table, tente de tout son poids d’arracher la dent d’un homme. Elle le maintient assis d’une grosse main sur l’épaule. Derrière elle, deux personnes assises, la bouche bandée, regarde l’opération avec terreur. Par la pose et la physionomie des personnages, la scène atroce devient burlesque.

Selon l’usage, nombre de lithographies étaient tirées des tableaux. La gravure avec sa large distribution apportait à l’artiste le véritable sacre populaire.

Portraits et scènes de vie

En parallèle de ses premières peintures inspirées des thèmes classiques, Jean Veber réalise des portraits et des scènes campagnardes. Sa famille lui sert de modèle.

En 1890, à 26 ans, Jean Veber a épousé Juliette Armengaud. De ce mariage d’amour naissent trois enfants : Claude qui sera pilote-observateur avec le grade de capitaine, Rose-Marie, surnommée Rosette, qui épousera le compositeur Jacques Ibert, grand prix de Rome, et Michel, surnommée Nino, qui deviendra librettiste et dialoguiste pour l’opéra et le cinéma et émigrera aux Etats-Unis.

Dans « La leçon », Juliette alitée fait répéter à son fils Claude ses leçons. L’enfant est habillé pour se rendre à l’école, manteau enfilé et casquette sur la tête, le cartable posé au pied du lit. L’atmosphère de la chambre est douce et chaleureuse. A l’image d’un Bonnard, Veber interroge la banalité du quotidien bourgeois. Le traitement flou de l’image, la palette chaude renforcent le confort douillet de cet intérieur féminin. La composition cherche l’équilibre, l’enfant en costume sombre d’un coté, la mère et le drap blanc de l’autre ; un meuble de nuit à gauche trouve un fauteuil en pendant à droite. Un grand rideau en toile de Jouy, oblique derrière l’enfant, apporte l’irrégularité symbole de vie.

A partir de 1898, Veber reçoit beaucoup de commandes de personnalités des arts et du théâtre : Anatole France, Lucien Guitry, René Doumic…

Modernisme

Jean Veber est un homme attentif aux changements qui s’opèrent à son époque. Le développement technologique l’inquiète particulièrement. « Dynamis ou La Houille Rouge », daté de 1902, traduit son angoisse face au modernisme. Une femme nue, chevauchant une machine, expulse les humains minuscules qui finissent broyés par une roue tournant à vive allure. L’œuvre a souvent été reprise dans les ouvrages sur le futurisme et préfigure le « Métropolis » de Fritz Lang.

Dans « les sous-hommes » (1911), Veber présente des ouvriers, réduits au rôle de machines, actionnés par des courroies. Ces êtres, mi-hommes, mi-machines, portent sur leur visage l’hébétude du travail machinal. Certains n’ont pas de tête, la fonction supprimant l’organe. Le fils de Jean Veber, Nino, a montré à son ami Chaplin ces hommes machines qui l’auraient inspirés pour son film les « Temps modernes ».

Avec « Le savant » (1907), Veber se moque du chercheur aveugle au reste du monde. Un vieil homme se tient debout en déséquilibre sur une pile de livres de scientifiques connus, Ampère, Newton, Archimède… Il donne une conférence à une foule d’oies aux têtes révérencieusement baissées. La remarque montre que le prestige du savant s’est écroulé avec sa pile de livres. Les oies si déférentes relèvent la tête et battent des ailes.

La peinture allégorique

A côté des portraits et des œuvres féériques, Jean Veber poursuit une peinture parfois allégorique, mais toujours très personnelle, qu’il expose lors des salons.

Dans « L’enlèvement d’Europe », Veber démontre toutes ses qualités de peintre classique dans la composition comme dans le traitement des matières. Europe, enlevée par Zeus métamorphosé en taureau, semble à la fois terrifiée et offerte.

« Adam et Eve » (1906) est une œuvre superbe et surprenante. Dans un paysage peuplé d’animaux dont certains fantastiques, Veber se représente sous les traits d’un Adam à l’allure animale, à quatre pattes reniflant la pomme qu’une Eve magnifique lui propose. Une image cocasse et iconoclaste.

Cette vision qu’il a de lui-même fait écho à ses interrogations intérieures. « Le Diable dans la marmite » (1904) traduit ses angoisses. Il s’y figure empêchant son double maléfique de sortir de la marmite en appuyant sur le couvercle.

Avec « La Dame inexorable » (vers 1907), l’auteur s’est représenté à son chevalet. Il tourne la tête vers une femme richement vêtue qui s’avance vers lui, bras tendu. La voilette cache un visage, celui de la mort !

Caricatures et satires

Ce n’est pas par la peinture que Jean Veber s’est d’abord fait connaître, mais par ses caricatures et ses dessins humoristiques dans les journaux satiriques.

Dans le Paris de la fin du 19ème siècle, le Gil Blas, le Rire, l’Assiette au beurre étaient des revues dont les tirages étaient importants. Avec son frère Pierre qui rédige les textes, Jean y collabore pendant plusieurs années. Dès le début de leur association, le succès est au rendez-vous. Il fait sensation, jusqu’à créer des incidents diplomatiques comme lorsqu’il représente en 1897 l’empereur d’Allemagne la tête suspendue à un clou par les cheveux, dans un dessin intitulé « Le Clou de l’Exposition ».
Il n’hésite pas à dénoncer la bêtise, la cupidité, les atrocités. Son tableau représentant Bismarck en boucher devant un étalage de têtes humaines est refusé par les organisateurs du Salon de 1897 et suscite une protestation du gouvernement allemand. Il provoque des incidents diplomatiques avec l’Angleterre en prenant violemment parti pour les Boers contre les Anglais. Sa dénonciation des « Camps de concentration » du Transvaal en 1901 ou sa caricature d’Edward VII, le visage situé par l'artiste sur les fesses de Britannia[1], suscitent les foudres de la censure.[1] Pour en savoir plus : http://www.caricaturesetcaricature.com/2015/05/l-impudique-albion-de-veber-petite-synthese-provisoire.html

 

Il s’attaque également aux hommes politiques de son temps. Dans « Le dompteur » (1909), Clemenceau affronte la foule des parlementaires hostile représentée sous la forme d’une masse animale. Puis dans « Le dompteur a été mangé » daté du 20 juillet 1909, l’homme politique est avalé par cette même foule. Le gouvernement vient d’être renversé et Clemenceau a dû démissionner de la Présidence du Conseil. 

La presse n’est pas épargnée. Dans « Les aveuglés ou l’opinion publique » (1907), il représente des hommes, dans la nuit, la tête entourée de journaux qui les aveuglent, qui se battent et donnent des coups dans le vide. On peut lire les titres des journaux : Figaro, l’Echo de Paris, le Soleil, le Temps, l’Aurore, le Matin, l’Intransigeant, le Soir

Peintre de la Grande Guerre

Engagé volontaire à l’âge de cinquante ans, Jean Veber prend part aux combats. Durant la bataille de la Somme, il reçoit la médaille militaire et en 1917 la croix de guerre Bronze et vermeil.

Il entretient une importante correspondance avec sa femme : « Jeudi 21 septembre 1916. Le soleil se couche, je t’écris de ma tranchée, le champ de bataille est couvert de morts, que de bons camarades tués mais les boches ne bougent plus. Nous avons arrêté leur contre-attaque, hier j’ai tenu 2 heures la mitrailleuse, je les voyais courir, tomber, et se disperser. Nous sommes fatigués et très difficilement ravitaillés. Nous avons faim et soif ».

Après ses premiers combats, il réalise plusieurs lithographies. « Mamey » est particulièrement effroyable avec ce soldat la tête en sang et le regard hagard, devançant des groupes de blessés aidés par leurs camarades.

En septembre 1916, il est sur le front de la Somme à Bouchavesnes. Pendant six jours, ses hommes et lui subissent de terribles bombardements. Lors des jours de repos qui suivent, il réalise plusieurs lithographies dont « Bouchavesnes ! Bouchavesnes ! » : une plaine, des trous d’obus remplis de morts, deux explosions qui soulèvent pierres et hommes, et lui, avec ses hommes passifs et angoissés dans un des cratères.

En juillet 1917, Jean Veber est surpris une nuit par une nappe de gaz. Il est renvoyé dans ses foyers pour se soigner. Auteur de nombreux faits d’armes, il termine la guerre sous-lieutenant et est fait officier de la Légion d’honneur.

Au cours des années suivantes, sa santé ne se rétablit pas et il meurt le 28 novembre 1928.

Une grande exposition hommage lui est consacrée deux ans plus tard au Petit Palais à Paris et son œuvre lithographique est publiée l’année suivante. Sa correspondance de guerre a été éditée dans l’ouvrage « J’y étais. Un peintre dans la Grande Guerre » 

A sa demande, ses œuvres sont dispersées après sa mort lors de deux ventes aux enchères publiques en 1936 et 1938 afin de « pouvoir bénéficier au plus grand nombre ». Aujourd’hui, ses créations sont entrées dans des collections publiques de nombreux musées en France comme à l’étranger.

En 2014, la Villa Arnaga consacrait une exposition à Jean Veber comme dessinateur de la Grande Guerre. En savoir plus...