Le grand décor du boudoir de Rosemonde Gérard

En 1905, sur la recommandation de l'architecte Albert Tournaire, Edmond Rostand fait appel à Jean Veber pour créer un des grands décors d’Arnaga, la nouvelle demeure qu’il fait construire à Cambo-les-Bains. Le peintre conçoit le décor féerique du boudoir de Rosemonde : une œuvre audacieuse et imposante puisque l’ensemble des toiles ne mesure pas moins de 20 mètres.

L'artiste au travail

De Paris à Cambo-les-Bains

Cette composition ininterrompue court sur les quatre murs du boudoir, insérée dans un décor totalement féérique. Elle prend place au-dessus d’un revêtement mural en carreaux de grès flammés. Réalisés par Alexandre Bigot, ces pavés de terre cuite ont une tonalité tilleul rosé, légèrement semée d’éclats de couleur turquoise.

Cet ensemble est probablement le plus riche de la villa iconographiquement ; il fourmille de détails que l’artiste a « imaginés, composés, ordonnés, exécutés avec la même minutie, avec la même recherche, avec le même soin. »[1]

Le thème du monde fantastique des contes avait déjà été traité par Jean Veber à plusieurs reprises, dans des dessins d’illustration, dans des tableaux de chevalet puis à la Villa Arnaga. Certains critiques le surnommèrent même « le peintre des contes de fées ». Pour la tapisserie Cendrillon (…), on trouve une même « enfantine naïveté », expression de l’imagination débordante de l’artiste. La touche y est libre et les coloris vifs et contrastés. Les talents d’illustrateur de l’artiste se révèle dans ces œuvres. Pour le Petit Poucet, l’artiste invite le spectateur à accompagner dans leurs malheurs Poucet et ses frères qui, après avoir été abandonnés, surent se jouer de cet ogre terrible qui surgit au centre de la composition comme s’il allait sortir de l’œuvre pour nous dévorer. Quant à la citrouille-carrosse de Cendrillon, elle transporte dans un monde féérique avec son orange vif qui se détache du fond bleu nuit du ciel. Prête à s’envoler au galop, elle invite le spectateur à imaginer la suite de cette histoire connue de tous.

[1] [Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910, p.19 et 21.]

Jean Veber aborde le répertoire des contes en 1893 pour le Cercle Volney avec sa peinture «La petite princesse» qui lui permet d’obtenir un vif succès et sera la première d’une nombreuse série de peintures féériques.

Edmond Rostand découvre à cette occasion le travail de Jean Veber et le couple Rostand demande à l’artiste de décorer l’ensemble de la pièce sur le thème des fées. « Mes panneaux représentent les plus populaires des Contes de Perrault : Barbe bleue, Riquet à la houppe, la Belle au bois dormant, Cendrillon, le Chat Botté sans parler du mariage du Chat Botté avec la Chatte Blanche et d’une fiction destinée à compléter la série : une princesse captive dans une cage en fils d’or. Je vous assure que j’ai passé des moments exquis à Cambo, à peindre ces toiles dans cette maison si accueillante, où tout respire la haute intelligence et les nobles préoccupations de ses maîtres ».[1]

Les toiles ont été réalisées dans l’atelier parisien de l’artiste. Il est ensuite venu passer plusieurs semaines à Cambo pour adapter son œuvre aux contours du boudoir.

[1] Jean Veber dans un entretien accordé au Gaulois du Dimanche en 1910.

Dans un courrier du 19 septembre 1905 adressé à son fils cadet, Nino, il décrit sa journée de travail.

 « Je travaille tous les soirs jusqu’à huit heures un quart à la lueur d’une lampe à acétylène. Je suis sur un échafaudage et toute la famille Rostand vient me regarder peindre et m’aide de ses conseils ».

La réussite de Veber est confirmée par la commande que lui adresse les Gobelins pour la composition de trois tentures :  La Belle au bois dormant, Le Petit Poucet, Cendrillon. Gilbert Peycelon, adjoint de Gustave Geffroy aux Gobelins, devenu administrateur de la manufacture de Beauvais, demande à Jean Veber en 1914 les cartons d’un mobilier en accord avec les tentures. Interrompue par la guerre, l’exécution reprend en 1917.

Le Salon des Contes de fées est dessiné entre juillet 1919 et 1926. Il est composé , d’un canapé (Barbe-Bleue), quatre fauteuils (Le Chat botté, La Belle au Bois dormant, le Petit Chaperon rouge, Le Roi forgeron). L’envers des fauteuils et des chaises est fait de tapisserie (bois de Paul Follot), de quatre chaises, d'un écran (L’oiseau bleu, 1912).

L’ensemble fut présenté en 1925 à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris, où les Manufactures des Gobelins et de Beauvais exposaient leurs productions les plus récentes. Certains critiques reconnurent alors dans ce salon étonnant « l’esprit pittoresque et joyeux de l’artiste […], sa haute et pure fantaisie, son prodigieux talent de coloriste ».

Les contes de Perrault et de Mme d'Aulnoy

Jean Veber a représenté des contes de fées, principalement choisis parmi les Contes de Perrault : Peau d’Ane, La Belle au Bois dormant, Les Noces du Chat Botté, Cendrillon, Riquet à la Houppe. Il complète cet ensemble de deux contes de Madame d’Aulnoy, Gracieuse et Percinet et L’Oiseau Bleu et d’un conte d’invention, La Cage d’Or. L’épisode le plus caractéristique des contes cités est illustré sur ces toiles.

Les contes sont répartis sur les quatre parois en quatre panneaux divisés eux-mêmes en compartiments fictifs représentés par des éléments architecturés peints ou des troncs d’arbres. Chaque toile vient parfaitement épouser les murs du boudoir. Leur dimension révèle l’ampleur du travail du peintre : le mur Est mesure 4m62, le mur Sud : 5m78, le mur Ouest : 4m91 et le mur Nord : 5m92. Les toiles connaissent un vrai succès. Les médias se font l’écho de ce décor audacieux.

Les contes illustrés

Plus de huit contes

Sur le mur Est, au-dessus de la porte d’entrée figurent trois décors de forêt séparés les uns des autres par deux troncs d’arbres contre lesquelles se blottissent le Petit Poucet avec son bonnet de coton (à gauche) et Puck le lutin, fumant sa pipe (à droite).

Riquet à la Houppe, L’Oiseau Bleu et Gracieuse et Percinet sont représentés sur la frise du mur nord.

« (…) je me suis mis à ma petite frise. J’y travaille d’arrachepied car je voudrais qu’on en puisse jouir dès le début de l’emménagement. J’espère que d’ici huit jours le panneau sera couvert. Il restera à le terminer. C’est un des panneaux de 5m. J’y ai représenté « L’Oiseau bleu », « Riquet à la houppe » et « Gracieuse et Percinet ». On y verra l’enchanteur Merlin et son char de grenouilles et Percinet sera vêtu de mon plus beau vert ainsi qu’il est [décrit]. » (Extrait d’une lettre de Jean Veber à Joseph Tournaire en février 1905)

Le mur sud, également troué d’une porte, est entièrement occupé par le conte de Cendrillon. Au-dessus de l’arc surbaissé, sur le mur ouest, où s’ouvrent trois petites fenêtres en plein cintre, prennent place Les Noces du Chat botté et de la Chatte blanche à gauche et La Cage d’or à droite, séparés par une rose.

Les Noces du Chat botté et de la Chatte blanche est une illustration imaginée par Jean Veber à partir de deux contes : Le Maître Chat ou Chat Botté de Charles Perrault et la Chatte Blanche de la Comtesse d’Aulnoy. Une union symbolique entre deux conteurs contemporains au 17ème siècle.

Jean Veber ajoute « une fiction destinée à compléter la série : une princesse captive dans une cage en fils d’or… ».

La cage d’or est un élément que l’on retrouve dans un conte écrit par l’épouse de Jean Veber, Juliette. En 1902, elle imagine Ardant le chevelu sous le pseudonyme de Dame Yette. C’est l’histoire d'un jeune garçon aux cheveux roux qui sauve une princesse, enfermée dans une cage d’or par un ogre et devient roi.

La niche des fenêtres est également peinte dans un trompe-l’œil de mosaïque et représente un roi et une reine accompagnés de leurs quinze enfants et d’une inscription qui rappelle que tout conte débute par « Il était une fois » pour s’achever avec « Ils eurent beaucoup d’enfants ». Enfin, faisant face au mur de Cendrillon, deux compartiments scindés par des motifs architecturaux sont illustrés de Peau d’Ane et de La Belle au bois dormant.

L’ensemble du décor est couronné, à la hauteur des portes, par une corniche de bois d’érable sculpté. Jean Veber « possède l’imagination la plus vive, la plus fraîche, la plus colorée […] ; c’est un fantaisiste exquis et un réaliste truculent, qui peint avec autant de verve les grimaces que les sourires des êtres et des choses, et qui est aussi sensible à leur laideur qu’à leur beauté. » (Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910, p.19 et 21.)

Ces toiles fourmillent de détails et de références à d’autres contes. On peut apercevoir par exemple, le Petit Chaperon rouge deviser avec le Petit Poucet.

A la demande de Rosemonde Gérard, les membres de la famille Rostand sont aussi reconnaissables dans les traits de certains personnages des contes : Rosemonde en Peau d’Ane avec sa robe couleur du Temps, Maurice en Prince venant délivrer la Belle au Bois dormant ou encore Jean en jeune page endormi auprès de cette Princesse.

L'aventure du retour du Grand décor

digne d'un conte de fées

Ce grand décor des Contes de fées est entouré d'un grand mystère digne des récits fabuleux. Lors des changements de propriétaires successifs, les toiles sont littéralement arrachées des murs du boudoir de Rosemonde et vendues, probablement, dans les années 1930.

Entre 1983 et 1993, les toiles sont proposées plusieurs fois dans des ventes aux enchères. Leur prix ne permet pas à la commune de Cambo-les-Bains d'en faire l'acquisition. C'est à cette époque que les toiles, dit-on, partent aux États-Unis... où elles ne sont jamais arrivées. Elles sont, en effet, restées en France.

En 2008, la commune fait reproduire les toiles grâce à la technique de la Digigraphie® à partir de clichés pris lors de la vente de 1983. Ce sont ces copies, peu fidèles du travail de Jean Veber, qui avaient été présentées aux visiteurs d'Arnaga. Peu fidèles, car dans les années 1960, de grossières "restaurations" étaient venues cacher le travail raffiné de Jean Veber.

En 2012, la commune de Cambo-les-Bains acquièrent ces toiles pour un coût de plus de 80 000 €. Cette acquisition majeure n'aurait pu voir le jour sans les importantes subventions accordées par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (plus de 27 000 €) et par le Conseil Régional d'Aquitaine (25 000 €).

Endommagées, elles nécessitent des restaurations poussées auprès de Centre de Restauration et de Recherche des Musées de France. Là, les toiles sont analysées et devraient retrouver leur éclat des années 1905-1906.

Le coût de ses restaurations s'élève à 156 000 €. La commune de Cambo-les-Bains bénéficie du soutien de la DRAC (plus de 59 000 € ), du Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine (19 000 €) et du Conseil Départemental (plus de 31 000 €). La commune a bénéficié de l’accompagnement de la Fondation du patrimoine pour achever ces restaurations.