Les années au Collège Stanislas

Le père d’Edmond Rostand a des ambitions pour son fils. Il le veut avocat ou diplomate et exige qu’il obtienne une licence de lettres. Pour cela, il prend la difficile décision d’inscrire le jeune Marseillais dans un établissement réputé parisien. Le père écrit alors au proviseur du Collège Stanislas pour solliciter l’inscription d’Edmond : « Mon fils, si vous me permettez de vous le présenter par avance, a un peu plus de 15 ans ; avec des qualités de cœur, il a une intelligence qui paraît à ses maîtres donner des promesses exceptionnelles, et qui m’étonne par moments. Ce qu’il a besoin d’acquérir, c’est la régularité du travail et la continuité dans l’effort. Il a été, après des succès, depuis la 6e, le premier de sa classe et 3e ; en 2e il s’est laissé prendre cette place, et a eu pourtant sept nominations, dont les premiers prix de Français et d’Histoire ».

Sur la photographie de classe, le jeune Edmond est au 2ème rang, le 4e à partir de la gauche. C'est le seul à regarder ailleurs...

Voir Lettre d’Eugène Rostand au proviseur du Collège Stanislas.

Un Marseillais à Paris

Le 1er octobre 1884, son père remplit les documents d’inscription au collège Stanislas. À la rubrique Observations particulières de la famille, Eugène précise : « Santé bonne mais tempérament nerveux et anémique. Myope. A besoin d’être entouré et soutenu, manque un peu d’élan et d’ordre dans les choses matérielles. Enclin à la rêverie, à la mélancolie ».

Voir la fiche d’inscription au Collège Stanislas. Photocopie. Collection Musée Edmond Rostand

 

Sous la matricule 406, le jeune Edmond Rostand doit abandonner ses tenues d’adolescent raffiné pour une uniforme à l’allure militaire. Les débuts sont difficiles pour le petit Marseillais. « Un petit garçon aux boucles blondes, qui fut triste au collège, qui n’aimait pas Paris, qui pleurait sans qu’on l’ait toujours, et comme on aurait dû, consolé… [1]».

[1] Souvenir d’Edmond Rostand raconté à Anna de Noailles en 1915.

Des rencontres déterminantes

Son professeur de rhétorique est René Doumic[1]. Agé seulement de 24 ans, il passionne ses élèves par son style et son savoir. « Armé déjà de son petit râteau / Doumic sarclait la pelouse verbale ».[2] À la fin du premier trimestre, le professeur écrit en conseil de classe : « Bon élève, très intelligent et peut très bien faire. De grandes qualités d’esprit. Mais il faut un travail très suivi pour se mettre en garde contre des défauts sensibles et qui pourraient tout gâter ». Son professeur d’allemand, M. Lorber, observe : « travail d’amateur ». Edmond deviendra parfait Germanophone au point de publier une nouvelle version du Faust de Goethe. « Le bon Lorber, le soir, me lisait Goethe comme on vous donne en secret du gâteau [3]».

C’est aussi à Stanislas qu’il fait la connaissance d’un surveillant qui l’inspirera pour son Cyrano.

« J’étais depuis longtemps poursuivi par le personnage de Cyrano ; il me hantait dès le collège, et lentement, à mon insu, il s’organisait autour de lui une action dramatique. Cela me restait encore très vague, quand je rencontrai ce maître d’études surnommé “Pif-Luisant”, dont il est question dans Les Musardises. Son âme était aussi belle que son physique était disgracieux. Le contraste me frappa. »

 

On t’avait surnommé Pif-Luisant. Les élèves

Charbonnaient ton profil grotesque sur le mur.

Mais tu marchais toujours égaré dans tes rêves

Tu ne souffrais de rien. Tu vivais dans l’azur.

Car tu faisais des vers. Tu rimais un poème !

À nul autre que moi, tu ne l’as avoué.

– Comment donc avais-tu, lamentable bohème,

Au fond de ce collège, en province, échoué ?

[1] René Doumic (1860-1937). Professeur de réthorique à Stanislas de 1883 à 1897. Homme de lettres, journaliste et critique, il est élu à l’Académie française en 1909.

[2]Ballade de l’ancien élève dans Les Musardises.

[3]Les Musardises

Les talents décelés

Son père Eugène se réjouit des premiers retours positifs. « Je me félicite de jour en jour davantage de voir Edmond dans votre si excellente maison. Il paraît y travailler avec goût, puisque je reçois aujourd’hui un mot de lui m’annonçant qu’il est 1er en version latine et a obtenu le 1er prix au discours français (dissertation) ».

 

Mais le jeune homme n’a pas l’esprit aux études. Le 22 novembre 1885, à peine deux mois après la rentrée des classes, Edmond reçoit un blâme pour dissipation. Il est pourtant un excellent élève lorsqu’il le veut bien.

Les talents d’écriture du jeune homme sont rapidement détectés. En philosophie, il doit écrire une dissertation dont le sujet est :  Alceste ou Philinte. « C’est, note le correcteur, un devoir parfois très bien écrit, rempli d’idées gracieuses et fines, développement très heureux ». Le professeur lut la copie à toute la classe, en félicitant Edmond pour des phrases telles que celles-ci : « L’âme est pareille au vase qui a contenu quelque liqueur ; depuis longtemps elle est évaporée ; mais le parfum dont les parois se sont imprégnées demeure encore, suave et pénétrant – et ce parfum est le souvenir. » La copie sera retenue par l’Académie d’émulation du collège Stanislas, sorte de club réunissant les élèves les plus brillants, et conservée jusqu’à aujourd’hui[1] !

Voir la copie du devoir

 

 

Son professeur d’histoire Roger Peyre écrit en décembre 1885 : « Conduite et travail assez bien ; pourrait bien mieux faire, peut avoir des succès ». Mais en avril le même se corrige : « Un des élèves sur lequel je comptais le plus s’est montré presqu’invariablement, malgré mes efforts, paresseux, inattentif et bavard, sauf quand on l’interroge. D’ailleurs, c’est un esprit qui est plus brillant que solide, quoiqu’il n’ait pas plus fait preuve de brillant que de solidité dans ma classe ». Le directeur note dans le bulletin du premier trimestre : « Edmond devrait faire plus d’efforts pour la conduite, afin d’être sous tous rapports un excellent élève. Il est intelligent, a beaucoup d’idées et sait les exprimer quand il veut s’en donner la peine ; a besoin de se régler et de s’astreindre à une méthode. Les progrès sont lents en mathématiques et insuffisants en physique ». 

[1] Le professeur conserva une copie du manuscrit qu’il offrit bien plus tard à la famille. Cette copie est désormais dans le fonds du musée Edmond Rostand.

Brillant en lettres, cancre dans les autres matières

Une fois le baccalauréat obtenu, le directeur de Stanislas écrit à Eugène Rostand : « J’aime à redire, Monsieur, que pendant son séjour à Stanislas, Edmond s’est fait remarquer par des qualités précieuses, belle intelligence, esprit fin, distingué, ouvert aux études littéraires, caractère aimable, manières d’un jeune homme bien élevé. Je garderai de ce cher enfant un affectueux souvenir, tout en faisant les vœux les plus sincères pour son avenir. »

 

Lorsque Pierre Mortier pour Je sais tout le 15 novembre 1905 lui demandera quel souvenir il a gardé de ces années, Edmond répond : « J’étais, je vous le confesse, à la fois sans vanité et sans honte, un élève aussi brillant en dissertation française, en version latine et en discours latin, qu’un cancre dans les autres matières ».

La matinée exceptionnelle du 3 mars 1898

Edmond Rostand resta toujours lié à son collège et à certains professeurs. Ainsi, quelques mois après le succès de Cyrano de Bergerac, il assiste à une matinée exceptionnelle.

Le jeudi 3 mars 1898, les élèves anciens et actuels du collège Stanislas, leurs professeurs et leurs parents sont conviés à une matinée extraordinaire de Cyrano de Bergerac au Théâtre de la Porte Saint-Martin[1]. L’initiative en a été prise par l’ancien maître d’allemand d’Edmond Rostand, M. Lorber et un groupe de camarades du poète, désireux d’offrir à l’auteur de Cyrano un témoignage de leur affectueuse admiration.

 

Constand Coquelin, par une faveur spéciale, réserve la salle. Le rideau retombé, un élève du collège lit un hommage composé par M. Émile Triollet, professeur de rhétorique :

Poète sois heureux ; car c’est ton vieux Collège

Qui voulut envahir la Porte Saint-Martin.
Et près de toi, par lui, goûte le privilège

De s’asseoir en famille à ton royal festin.

 

Poète, sois joyeux : car, fervent d’allégresse,

Tout un peuple d’amis se presse avidement

Vers la coupe enchantée où tu versas l’ivresse

De ton vin généreux au clair pétillement.

 

Ah pour ce fier panache où flotte une espérance

D’intrépides réveils et d’avenir vainqueur,

Pour ton cœur si français, la jeunesse de France

À toi, jeune comme elle, apporte tout son cœur.

 

Jette-lui tes beaux vers pour qu’elle les savoure ;

Jette à ces affamés, bouches et cœurs ravis,

L’enthousiasme saint, l’honneur et la bravoure,

Tous ses fruits d’héroïsme à ton banquet servis.

 

Poursuis donc en plein ciel ta lumineuse voie,

Et ton collège, - ainés et cadets réunis, -

De ta part de triomphe aura sa part de joie :

C’est le vol des aiglons qui fait l’honneur des nids !

 

 

Ému, Edmond Rostand lui répond :

 

Merci – Je voudrais vous parler. – Mais qu’on me laisse,

Avant de vous parler, vous regarder encore.

Laissez, que je regarde un peu cette jeunesse,

                Et laissez que je reconnaisse

                Ces képis et ces boutons d’or !

 

Nous vous ressemblions quand nous avions vos âges

Mais quoi ! ce Stanislas, c’est celui de mon temps !

Tes classes, vieux collège, ont les mêmes visages,

                Comme ton parc a des feuillages

                Toujours les mêmes au printemps !

               

Tout est resté pareil, me dit-on : les concierges,

Les portes, le parloir, au parquet bien frotté,

Dans la chapelle, aux murs, mêmes croix, mêmes Vierges…

                Seulement un peu moins de cierge,

                Un peu plus d’électricité.

 

Monsieur de Bergerac est mort ; je le regrette.
Ceux qui l’imiteraient seraient originaux.
C’est la grâce, aujourd’hui, qu’à tous je vous souhaite.

                Voici mon conseil de poète :

Soyez tous des petits Cyranos.

 

S’il fait nuit, battez-vous à tâtons dans l’ombre.
Criez éperdument lorsque c’est mal : C’est mal !

Soyez pour la beauté, soyez contre le nombre !

                Rappelez vers la plage sombre

                Le flot chantant de l’Idéal.

 

Ayez une âme ; ayez de l’âme ; on en réclame !

De mornes jeunes gens aux grimaces de vieux

Se sont, après un temps de veulerie infâme,

                Aperçus que n’avoir pas d’âme

                C’est horriblement ennuyeux.

 

Et c’est pourquoi je vous demande du panache !

Cambrez-vous. Poitrinez. Marchez. Marquez le pas.
Tout ce que vous pensez, soyez fiers qu’on le sache

                Et retroussez votre moustache,

                Même si vous n’en avez pas !

 

[1] Brochure Matinée extraordinaire du 3 mars 1898, éditée à cette occasion par le collège Stanislas.