L'effroyable guerre

L'effroyable guerre

Edmond Rostand continue d'écrire

Pour terminer cette biographie : après Chantecler, Edmond Rostand continue à écrire, mais il dit à Paul Faure « A que j’envie ceux qui peuvent travailler des journées entières sans fatigue, qui ont une nature vigoureuse qui favorise les besognes fécondes ! Ceux-là qui me croient heureux, qui voudraient être à ma place, ne connaissent pas mon supplice. Car s’en est un pour moi de sentir remuer en soi une infinité de choses, des foules de personnages, et de ne pouvoir, faute d’énergie physique, leur donner la vie. »

La guerre éclate. Rostand veut s’engager mais il est déclaré inapte. Alors il fréquente les hôpitaux militaires, rédige des lettres, soutient les soldats. Pour lui, tous ces jeunes sont des Cadets de Gascogne. Des douleurs  personnelles se conjuguent aux malheurs de la nation : il perd son père début 1915 puis sa mère dix-huit mois plus tard.
Rosemonde Gérard et lui se sont séparés. Maurice vit avec sa mère, Jean avec son père. A partir de décembre 1915, une jeune actrice, est entrée dans la vie de Rostand. Elle se nomme Mary Marquet. 

La fin de la guerre s’annonce. Edmond Rostand qui était revenu quelques mois à la Villa d'Arnaga veut participer aux fêtes de la victoire. Il débarque à Paris le 11 novembre, deux heures avant la capitulation et partage toute la journée la joie de la foule.

La mort du poète

Le 2 décembre 1918 à 13h30, Edmond Rostand décède de la grippe espagnole, entouré de ses proches rue de la Bourbonnais dans l'appartement qu'il louait.

Des messages viennent de nombreuses personnalités politiques ou littéraires comme ce texte de son amie, la poétesse Anna de Noailles :

"Vous qui nous avez quittés et qui avez quitté votre France aux heures de sa suprême victoire, à quel appel sublime vous êtes-vous rendu, qu'avez-vous été rejoindre, illustre et cher ami, vous qui ayant trouvé votre voix glorieuse trop faible pour le triomphe, avez voulu donner votre âme ?

Plus haut que les cloches et les foules enivrées, au-dessus des musiques éclatantes et des pas rythmés qui marchent vers le Rhin, vous vous êtes jeté en avant dans le céleste espace, et votre cœur, -qui ne pouvait plus rester au dedans de vous, dirige désormais dans l’éther l'ineffable cortège des forces inconnaissables. Tous les soldats tombés pour la Liberté depuis 1914, les plus humbles, les plus obscurs, les plus inconnus, vous les avez voulu rendre vainqueurs, et vous, le premier, vous avez été parler aux morts.

Au son du canon qui ne tuait plus, le 11 novembre, tandis que commençait le bonheur, national, universel, nous répétions le front baissé « les morts sont sans nouvelles. »

Messager insigne, couvert de gloire ; empli d'amour, d'équité, de pitié, vous allez vers ces infortunés, et ceux-là vous accueillent, Ombre sacrée, comme les vivants de Lorraine et d'Alsace ont reçu entre leurs bras les soldats annonciateurs.

Ainsi, la France désigne pour la mission terrible et sainte son poète héroïque, son divin serviteur, celui qu'elle a comblé de ses dons infinis et qui ressemble le plus à elle-même. La patrie choisit son fils de prédilection pour son cruel holocauste ; mystérieux échange de la terre avec les cieux, que nous qui vous pleurons ne pouvons pas admettre, mais auquel vous avez consenti, vous dont la haute spiritualité pénétrait le sens de l'énigme, et qui cessiez de lutter avec l'Ange dès qu'il vous avait convaincu.

Vous avez abandonné doucement, sans une plainte, en ces jours de tumulte heureux, ce monde qui vous adorait. Ah ! certes, toute la France eût voulu vous retenir, vous faire pencher de son côté, s'acharner contre le Destin, vous entraîner au milieu de nos armées à Strasbourg, dans la ville de la Marseillaise, dans la cité où triompha la Révolution française et que domine Jean-Baptiste Kléber, le héros selon votre cœur !

Je n'ai rien dit de vous en ces quelques lignes qui coûtent tant à mon amitié. Le monde entier et les âges célébreront votre gloire éblouissante votre génie entrera dans la légende, vous serez nommé, dans les écoles entre Bayard et Corneille par les professeurs et les enfants de France les héros de votre œuvre se confondront avec vous-même, il sera juste de croire que vous avez combattu et vaincu parce que votre immense poésie est tout entière la Victoire et la Vertu françaises. Mais saura-t-on assez ce que fut votre bonté, votre simplicité, votre émouvante modestie qui, seule, entre toutes vos perfections, savait intimider ?

Ceux d'entre nous qui vous ont bien connu seront désormais unis, ils voudront pendant toute leur vie parler ensemble de leur ami, Edmond Rostand."

Anna de Noailles, 2 décembre 1918.