Edmond Rostand, auteur de théâtre et poésie, désire créer la demeure de ses rêves au Pays basque où il a choisi de vivre. Comme pour ses créations littéraires, il foisonne d’idées. Il veut conjuguer monumentalité et simplicité, panache et intimité. Il veut un extérieur rustique et un intérieur fastueux, un palais qui paraisse une ferme.
Le jeune architecte Albert Tournaire, déjà renommé, Grand Prix de Rome, crée un vaste programme architectural, avec cinq bâtiments, quatre jardins différents jardins. Il met en oeuvre les méthodes les plus modernes et s'appuie sur un réseau d'entreprises avec lesquels il a déjà travaillé dès 1895 à Bordeaux.
Une maison harmonieusement inscrite dans le paysage
Edmond Rostand a une vision précise de ce qui va devenir son œuvre de pierre et de verdure. Il veut une maison qui s’inscrive harmonieusement dans le paysage : « Malgré notre situation élevée et l’admirable vue, je n’entends pas édifier ici l’une de ces imitations de châteaux du Moyen-âge à la Viollet-le-Duc qu’on a vu fleurir ailleurs !... Non, puisque j’ai choisi cette région, je crois sincèrement que ma demeure, même très grande et très confortable, doit rester dans le goût du pays ! ». La maison s’habille extérieurement des atours de la ferme labourdine avec ses murs blancs et ses colombages rouges, sa toiture dissymétrique.
Une ferme au décor de palais
Pour l'extérieur de la demeure, les deux hommes choisissent de s'inspirer des fermes traditionnelles basques à façade blanche, pans de bois rouges et toiture à deux pentes inégales. A l'opposé, ils traitent l'intérieur comme un somptueux décor de théâtre. Autour de cette vaste maison, ils créent un ensemble de jardins sur plus de 15 hectares. Côté Soleil levant, ils implantent un jardin "à la Française" doté de bassins, de miroirs d'eau et d'une pergola. Côté couchant, ils conçoivent un jardin "à l'Anglaise" alliant verdure et courbes minérales.
La construction d'Arnaga frappe par sa rapidité. Il n'aura fallu que 3 ans, de 1903 à 1906, pour que les idées se transforment en œuvre de pierre. Tous les moyens sont à la disposition de l'architecte pour réaliser les désirs du Maître. Il coordonne une armée d’ouvriers pour niveler le terrain, apporter la terre végétale pour les massifs, transplanter des arbres vieux de 30 ans. De grandes quantités de matériaux sont acheminées de Bordeaux, Paris, Toulouse, et même d’Angleterre. Edmond Rostand et sa femme, Rosemonde Gérard, commandent le décor des pièces à des artistes renommés. Le mobilier est soigné jusqu'au plus infime détail.
Comme les travaux de l'Exposition Universelle
Un ami de la famille, Paul Faure témoigne dans son ouvrage Vingt ans d'intimité avec Edmond Rostand : "Il y a tant d’ouvriers, sur ce plateau encore si récemment sauvage, qu’on ne sait si c’est une maison qu’on édifie ou une ville. Cette foule d’hommes occupés à piocher, défoncer, planter, cette procession de tombereaux qui ne cessent de déverser de la terre, ces monceaux de pierres, ces treuils, ce charroi continu, ce va-et-vient des contremaîtres donnant des ordres, tout cela rappelle, par l’activité, par la rapidité, par les transformations à vue d’oeil des lignes et des aspects, les travaux de la dernière Exposition Universelle, qui, du jour au lendemain, métamorphosaient un quai en sentier de jardin, faisaient pousser des palais en quelques nuits, plantaient en quelques semaines une allée de vieux arbres."
Les idées très arrêtées d'Edmond Rostand
Tout au long de la construction, Rostand est vigilent et apporte de nombreuses indications.
Le porche d'entrée de la Villa
Il imagine ainsi un porche d’entrée dont il a trouvé le modèle de l’autre côté de la frontière. Il envoie à Tournaire un petit dessin à côté duquel il écrit : « Quelle jolie porte ! Et il y en a beaucoup comme ça en Espagne basque ». Sur un petit dessin à coté, il détaille la porte avec ses clous, et une ferrure qu’il trouve « très jolie, très simple ». Une petite esquisse modifie le porche espagnol, l’arcade est baissée, la porte s’ouvre par deux ventaux, et voilà l’entrée d’Arnaga.
Le grand escalier monumental
La création du grand escalier menant au premier étage le plonge dans d’intenses réflexions. Il décrit à Albert Tournaire le cheminement de sa pensée dans une lettre du 22 mars 1904 accompagné de 4 dessins, d’abord mêlant bois et pierre, puis entourant le bas du pilier par un banc de pierre. Edmond Rostand opte finalement pour l’installation « d’une vasque tournant tout autour du pilier en forme de bénitier et dans laquelle trois mascarons sculptés dans le pilier même souffleraient de l’eau. (…) Cela, harmonisé par vous, doit faire quelque chose de parfait. Et cela garde à l’ensemble la forme serres ou patio que je désire. »
L'architecte déploie ensuite son talent pour créer l'escalier du vestibule d’Arnaga. On peut noter quelques ressemblances avec celui du vestibule de la Caisse d’Epargne des Bouches-du Rhône réalisée par Albert Tournaire et inaugurée en 1904.
La toiture à bords trop petits
Dans une lettre du 25 mai 1904, il se plaint du manque d’élégance de la toiture côté ouest. « La toiture n’avance pas assez… on dirait d’une personne qui a un chapeau à bords trop petits. Tout le caractère de la construction devant venir du toit, la maison doit avoir l’air écrasée et encapuchonnée… Je vous en supplie, trouvez un moyen de faire davantage déborder le toit du côté de Bayonne ». Ce sera chose faite. On peut imaginer la difficulté de cette prolongation de toiture qui n'a pas dû être aisée à réaliser.
Accès à la correspondance d'Edmond Rostand à Albert Tournaire
L'intégration de nouveaux éléments décoratifs : les baies vitrées du rez-de-chaussée
Par souci esthétique autant qu'hygiéniste, les deux hommes s'entendent pour faire entrer largement la lumière dans la maison. Les fenêtres sont agrandies, de grandes baies vitrées percent le rez-de-chaussée, la profondeur de la maison est réduite.
Edmond Rostand s'intéresse particulièrement à la forme des baies vitrées. Sur les plans, Albert Tournaire lui propose des fenêtres hautes versaillaises. Dans une lettre du 27 octobre 1903, Edmond Rostand précise « J’ai étudié le dessin du hall que vous venez de m’envoyer. […] Vous savez que mon sentiment a toujours été d’avoir, comme baies, des porches très arrondis de cintre, très larges de base. […] je ne serais jamais satisfait de l’effet pittoresque tant que j’aurais ces hauts cintres, que j’ai trop vus à Paris. […] Donc, je vous avise immédiatement, en vous renvoyant un dessin de façade sur lequel j’ai tracé au Comté l’effet que je veux exactement obtenir […], cet effet est on ne peut plus réussi, la maison semble plus solidement assise sur ces arches trapues. ». Il joint à ces remarques des croquis qui éclaircissent son propos.
Une photographie récemment découverte, montre la maison en cours de travaux. Les baies sont encore hautes. A la demande du poète, l’architecte fait abaisser et élargir l’arcade des fenêtres. Les nouvelles arcades s'inscrivent dans un cercle dont la base descend sous le sol.
C’est cette nouvelle forme qui deviendra une des formes de fenêtres de rez-de-chaussée caractéristique du style néo-basque.